Nous voici dans le dernier mois de l’année. Aussi prévisibles que le retour de la voix de Mariah Carey dans nos oreilles, arrivent les discussions sur les queues de budget, les clôtures d’exercice et les ajustements stratégiques pour optimiser les bilans avant le passage à la nouvelle année. Alors, pour rester dans l’ambiance de cette période, j’ai décidé de vous parler un peu de comptabilité.
Ne prenez pas la fuite tout de suite, je vous promets que ce sera simple et que je m’efforcerai d’expliquer les termes compliqués.
C’est un sujet que je voulais aborder depuis un moment, car en observant la transformation digitale des entreprises, je constate que cette transformation s’opère également sur le plan du financement de l’IT. Ce n’est pas une grosse surprise, je suis le premier à dire que la (vraie) transformation digitale est transverse à toute la stratégie d’une entreprise.
Le logiciel, une machine-outil comme les autres
Traditionnellement, le logiciel est considéré comme une immobilisation comptable. Il est perçu comme un investissement durable pour l’entreprise. Son coût est réparti sur plusieurs années grâce à un processus appelé amortissement. En l’utilisant, il perd de la valeur pour l’entreprise et, à la fin de l’amortissement, on considère que sa valeur est nulle au bilan. C’est généralement à ce moment qu’il est remplacé.
Comme le logiciel n’est pas physique, on parle d’immobilisation immatérielle, mais la logique est la même que pour une machine-outil, même si la notion d’amortissement, habituellement associée à l’usure d’un investissement physique, n’est pas parfaitement adaptée.
À l’arrivée du numérique dans le monde professionnel, cette comptabilisation était parfaitement logique. L’entreprise investissait son capital dans l’achat de matériel et de logiciels qui restaient on premise, c'est-à-dire dans ses locaux. Ce n’était finalement pas très différent de l’achat d’une machine à écrire ou d’un véhicule de fonction.
Les Anglo-Saxons parlent d’ailleurs de CapEx (pour Capital Expenditures), un terme qui reflète cet investissement du capital. En France, on préfère les langages d’initiés, et on parle de “haut de bilan”, en référence aux immobilisations figurant en tête du bilan comptable.
Beaucoup d’entreprises fonctionnent aujourd’hui sur ce principe de CapEx pour leur investissement IT, mais la transformation digitale, sous l’impulsion du cloud, bouleverse petit à petit cette logique.
Le cloud et sa logique de service
Dans les années 2000, les évolutions technologiques regroupées sous le terme de Web2.0 ont entrainé un changement de paradigme. On a vu émerger des logiciels dits SaaS (Software as a Service). Contrairement aux pratiques traditionnelles, où l’on achetait un logiciel pour l’exploiter pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’il soit remplacé, le SaaS repose sur une logique d’abonnement.
La promesse de ce modèle : bénéficier d’une version toujours à jour du logiciel, sans se soucier des cycles de mise à niveau ou des coûts associés à ces dernières.
D’abord porté par des pure players, ce modèle s’est progressivement étendu à des éditeurs traditionnels, comme avec la transformation de Microsoft Office en Office 365 dès 2010.
Ces changements ne sont pas anodins, puisqu’ils font basculer le financement de l’IT d’une logique traditionnelle de CapEx à des budgets d’OpEx (Operating Expenditure). Pour le dire autrement, on passe d’une logique de dépenses d’investissement à une logique de dépenses de fonctionnement.
D’un point de vue comptable, en sortant l’IT des actifs immobilisés, on impacte les calculs des ratios financiers de l’entreprise. Sans entrer dans les détails du ROCE, de l’IRR ou de l’EBIT, retenons que, en n’étant plus une “possession” de l’entreprise, l’IT ne participe plus directement à sa valeur comptable.
En contrepartie, cette approche SaaS permet aux entreprises de gagner en rapidité de déploiement, en scalabilité, en résilience et en agilité. À elles de tirer parti de ces facteurs pour créer plus de valeur, car c’est bien là le défi de la mise en œuvre des solutions SaaS.1
L’agilité “in house”
Si j’ai beaucoup parlé jusqu’ici d’achat IT, le changement de paradigme s’opère également sur les logiciels propres à l’entreprise.
Dans le cadre de leur transformation digitale, les entreprises créent des outils spécifiques pour améliorer leur relation client ou optimiser leur efficacité opérationnelle. Ces logiciels représentent souvent des avantages concurrentiels significatifs.
La même transformation s’opère ici, avec une transition d’une approche projet vers une approche dite “produit”.
Le mode projet correspond bien à une logique CapEx, avec un début, une fin et un budget alloué. En revanche, en s’appuyant sur les méthodes agiles et le lean tech, l’approche produit favorise une amélioration continue des outils numériques. On entre ainsi dans une logique OpEx, similaire à celle des approches SaaS.
Dans le secteur public, l’UGAP observe également cette “servicisation” des dépenses IT, où des acteurs sous-traitent la mise en œuvre de ces outils à des équipes spécialisées.2
Aligner stratégie, outils et finance
La transformation digitale redéfinit donc les codes traditionnels du financement de l’IT. Pourtant, ce basculement du CapEx à l’OpEx, et cette transition vers des logiques de service, ne sont pas sans poser de nouveaux défis. Quels critères utiliser pour évaluer la valeur de ces nouveaux modèles ? Comment les intégrer harmonieusement dans une organisation encore attachée à ses habitudes comptables ? Et je ne parle là que des aspects financiers.
Au-delà des promesses de scalabilité et d’agilité, l’enjeu réside dans la capacité des entreprises à aligner leurs outils et leurs stratégies avec cette nouvelle donne. Le chemin ne sera pas le même pour toutes : la taille de l’entreprise, son secteur d’activité, et son ambition digitale joueront un rôle clé dans l’adoption de ces paradigmes.
C’est tout pour aujourd’hui, je vous donne rendez-vous dans deux semaines pour le dernier article de l’année (il sera plus léger). D’ici là, n’hésitez pas à réagir et mettre des ❤️ si le sujet vous a plu.
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Je m’appelle Cédric Spalvieri. Je suis Directeur Général d’une agence web lyonnaise. Curieux des transformations que subit notre société, je me passionne sur la façon dont les évolutions du numérique impactent le monde dans lequel nous vivons.
Tallon, Paul P.; Mooney, John G.; Duddek, Marvin (2020). "Measuring the Business Value of IT". https://www.semanticscholar.org/paper/Measuring-the-Business-Value-of-IT-Tallon-Mooney/943d9c8722396315575348075acc46185ece5c0f