Il y a quelques années, Microsoft vendait aux fabricants de PC des licences dites “OEM” de Windows XP (et parfois de la suite Office) à des prix bien inférieurs aux licences classiques. Autrement dit, ça ne coûtait quasiment rien à des entreprises comme Dell d’installer Windows XP sur toutes ses machines.
Si cette remise peut s’expliquer par des effets de volume, cette pratique de Microsoft a surtout été perçue comme une mise en application de la stratégie du dealer : offrir (presque) gratuitement une première dose pour installer des habitudes d’utilisation chez les particuliers et les rendre dépendants quand ils arrivent dans un cadre professionnel.
Adobe adoptait d’ailleurs une stratégie similaire en fermant les yeux sur l’utilisation pirate de Photoshop par les étudiants, leur permettant ainsi d’arriver dans le monde pro déjà formés à cet outil.
“Nobody ever gets fired for buying IBM”
Ce dicton populaire s’applique aussi à Microsoft et explique (en partie) la domination de ses outils dans le monde professionnel. Pour un·e DSI, installer la suite Office garantit que quasiment tous les salariés manipuleront des logiciels familiers. C’est ainsi que tout le monde subit aujourd’hui Teams, malgré de nombreuses alternatives plus qualitatives.
Avec l’arrivée du cloud et des logiciels SaaS1, cette stratégie aurait pu disparaître. Mais les entreprises de la Silicon Valley ont su rebondir en popularisant le modèle Freemium : un accès gratuit, limité, mais suffisant pour ancrer des habitudes.
Spotify et YouTube en sont des exemples parlants, et vous utilisez probablement d’autres services sous ce modèle au quotidien. ChatGPT suit le même schéma : une version gratuite accessible à tous, avec un abonnement pour les modèles plus performants.
En combinant ce business model avec une avance (très courte) sur ses concurrents, OpenAI a imposé ChatGPT comme leader du marché, au point que son nom devient presque un terme générique, comme le scotch ou le frigo.
Les risques de la dépendance
“J’ai demandé à ChatGPT” … on entend sans cesse cette phrase, dans des contextes pourtant différents. Mais pour filer la métaphore du dealer, attention à ne pas être trop accroc. L’utilisation de ChatGPT n’est pas sans risque.
Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que je ne suis pas contre l’utilisation des IA, j’en suis moi-même assez consommateur. Je veux surtout vous aiguiller vers une bonne utilisation.
Le premier risque, on en a tous entendu parler, ce sont les hallucinations. ChatGPT n’est pas un moteur de recherche, c’est un outil qui s’appuie sur un LLM, dont le travail est de générer du texte. Son but est de générer du texte cohérent, au format demandé, sur la base du bon raisonnement vis-à-vis du corpus sur lequel il a été entrainé. La véracité des informations fournies n’est pas un critère de réussite pour un LLM. Si les ingénieur·es d’OpenAI s’attèlent à corriger ces hallucinations, c’est essentiellement parce que l’utilisation massive d’un outil biaisé est dangereuse, pas parce que le LLM fonctionne mal.
Dans un cadre professionnel, s’appuyer trop fortement sur ChatGPT peut entraîner d’autres risques … à commencer par le risque financier.
Je me souviens encore du choc de 2018, quand Google a subitement changé sa politique tarifaire pour Google Maps, utilisé massivement pour afficher des cartes sur les sites web. Des entreprises qui payaient quelques centaines d’euros se sont retrouvées avec des factures de plusieurs milliers. Le même scénario peut se produire avec l’IA : que se passera-t-il si OpenAI augmente brutalement ses prix ?
Le risque est aussi stratégique. L’actualité nous a montré que les géants de la tech font la girouette quand le vent politique tourne2, et vu son orientation actuelle, avoir une dépendance technologique avec les US n’est peut-être pas le choix le plus sécurisant. On a déjà vu Musk couper les API de Twitter lors de son arrivée à la tête du réseau social, mettant un coup d’arrêt à de nombreux services qui en dépendaient3.
Une trop grande dépendance à une IA américaine peut poser des problèmes de souveraineté économique et technologique.
L’utilisation hégémonique d’un service web n’est jamais une bonne chose. Regardez ce qu’a fait Google avec le SEO : en dominant le marché, ils ont rendu les entreprises totalement dépendantes d’agences expertes simplement pour pouvoir exister sur la toile en suivant les mises à jour continues des algorithmes de la firme de Mountain View.
Se désintoxiquer
L’IA générative est encore récente, il est encore temps de ne pas prendre de mauvaises habitudes.
ChatGPT n’est pas le seul acteur. Les annonces récentes de DeepSeek4 ont permis public de réaliser que d’autres solutions existent. Certaines comme Mistral5 sont d’ailleurs créées ici, sur le sol français.
L’important est surtout d’étudier quand et comment utiliser ces outils, quelles sont les modèles sous-jacents, leurs forces et leurs faiblesses. Des LLM comme GPT-o3 ou Claude 3.7 Sonnet par exemple sont particulièrement performants sur des raisonnements logiques, ce qui les rend intéressants pour le développement informatique.
Comme pour toute avancée technologique, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Les GenIA, avec ChatGPT en tête de gondole, sont très utiles pour “bootstraper” des projets. Si vous commencez à construire tout ou partie de votre business/votre expertise autour de ces solutions, réfléchissez au degré de dépendance que vous êtes prêt à accepter, et identifiez les moyens de substitution qui limitent les risques.
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Qui je suis
Je m’appelle Cédric Spalvieri. Blogueur et conférencier depuis plus de 10 ans et Directeur Général de l’agence Novaway. Curieux des transformations que subit notre société, je m’intéresse à la manière dont les évolutions du numérique impactent le monde dans lequel nous vivons.
Software as a Service : modèle d'exploitation commerciale des logiciels dans lequel ceux-ci sont installés sur des serveurs distants plutôt que sur la machine de l'utilisateur. Les clients ne paient pas de licence d'utilisation pour une version, mais utilisent le service en ligne, généralement via un abonnement.