Faut-il encore recruter des juniors à l’ère de l’IA ?
L’enjeu caché de l’IA : la transmission des savoir-faire.
Les jeunes et le travail… vaste sujet.
Si j’écoute mes aînés (voire les gens de ma génération…) les jeunes seraient devenus paresseux, sans aucune envie de bosser. Certains les disent même ingrats. J’ai passé une bonne partie de ma carrière à travailler principalement avec des gens plus jeunes que moi, parfois beaucoup plus jeune. Et je ne partage pas ce constat.
L’objectif de cet article n’est pas de démolir ce préjugé. Pour ça, je vous recommande la lecture de “Soit jeune et tais toi” de Salomé Saqué. Elle y constate que les aspirations restent globalement stables au fil des générations. Ce sont surtout le travail et le contexte socio-économique qui se transforment. Ici, je parle principalement de la transformation digitale de nos organisations, alors je vais plutôt enfoncer le clou, avec le sujet de l’IA dans le monde du travail.
Note : par souci de simplification, je vais évoquer les jeunes et les juniors sans trop de distinction, mais il faut garder en tête que les juniors ne sont pas forcément des jeunes et que des personnes en reconversion, par exemple, sont tout aussi impactées par le sujet.
On entend presque partout (même chez moi, je plaide coupable) que si les IA ne vont pas supprimer le travail, elles vont demander aux travailleur·ses un plus grand niveau d’expertise dans leur métier. On peut facilement extrapoler en se disant que les entreprises vont pouvoir se passer rapidement des juniors.
On ne va pas se mentir, dans le monde des cols blancs (celui qu’on annonce déjà bouleversé par l’IA), junior n’est pas le profil le plus rentable. Ils ou elles sont généralement conscient·es de leur faible niveau mais motivé·es, alors on leur confie naturellement les tâches à faible valeur ajoutée, mais nécessaires.
Sauf que ces tâches à faible valeur ajoutée, qui ne nécessitent pas d’expérience, sont justement le point fort de l’IA. Et avec une différence de coût considérable entre un·e junior et une IA, la différence de rentabilité est flagrante.
Demain, nos jeunes diplômé·es vont arriver sur le marché du travail face à des machines disponibles H24 et qui font le taff pour moins de 10 % de leur salaire chargé… On a connu des entrées plus sympa dans la vie active.
Les juniors, un investissement pas comme les autres
Le problème, c’est que si l’on cède aux profits court-termistes, qui va former les expert·es de demain capables de piloter et de valider le travail de l’IA ?
Avoir recours à des juniors n’est pas un coût à réduire, c’est un investissement.
J’ai toujours une certaine colère qui monte quand je lis des annonces “Urgent : Recherche stagiaire”. Je suis quelqu’un qui adore transmettre, je n’ai pourtant jamais ressenti un besoin urgent, compulsif, de former un·e stagiaire. On le sait, ce genre d’offre sert à recruter de la main d’œuvre à bas coût. Si l’on peut légitimement débattre de l’aspect moral de ces postes, ils ont le mérite d’ouvrir aux jeunes la possibilité d’avoir une première expérience. Mais ces entreprises seront les premières à remplacer ces annonces par l’achat de licences ChatGPT…
On ne propose pas des stages (ou des alternances) parce qu’on en a besoin, mais parce qu’on en a les moyens (plus précisément, on s’en donne les moyens). Les stagiaires sont littéralement des personnes en formation, qui vont donc consommer du temps et de la compétence pour les former.
Et c’est normal. L’objectif est souvent de les embaucher par la suite, pour que l’investissement ne soit pas vain. C’est ce qui justifie de se donner les moyens de consacrer ces ressource à cette formation. Ah oui, il y a aussi un contrat moral de former la jeunesse pour construire une société dans laquelle on a envie qu’ils vivent, mais restons sur les considération économiques pour aujourd’hui.
On investit sur les juniors en misant sur leur montée en compétences et leur potentiel à devenir les piliers de demain. Donc je le redis, pour ceux du fond qui ne suivent pas :
Avoir recours à des juniors n’est pas un coût à réduire, c’est un investissement.
Investir dans les juniors sans perdre la course ?
Sauf qu’avec l’arrivée de l’IA, on est quand même devant un dilemme…
D’un côté, la solution IA. Elle permet de réduire drastiquement les coûts, elle est probablement plus productive et va nous permettre de ne pas se laisser distancer par les concurrents qui vont l’appliquer (en ce temps de fin de l’argent magique, d’autres vont s’y mettre). Le bémol : elle augmente la dépendance aux séniors actuels sans préparer ceux de l’avenir.
De l’autre côté, on investit sur les juniors. On prend le temps de les former pour s’offrir plus de résilience aux aléas de la vie d’une entreprise, mais potentiellement, on va moins vite que les copains, et on perd des parts de marché.
Oui, j’ai des tournures assez prudentes sur les gains en productivité. On en reparle quand on aura un peu plus de recul.
Comme souvent en stratégie d’entreprise, il n’y a pas une seule bonne solution. La vérité est au milieu, et il convient à chaque dirigeant d’apprendre à placer le curseur.
Alors comment investir sur les juniors en restant rapide et idéalement sans louper le train de l’IA ?
Heureusement, je ne suis pas le premiers à me poser la question. Il y a déjà des études sur le sujet de la montée en compétence des plus novices.
Si les juniors sont un investissement, on va vouloir un ROI. Oui, dit comme ça, c’est moche et inhumain, mais le bon ROI de l’embauche des juniors (quand on n’est pas cynique et cupide) c’est d’avoir des juniors qui ne le sont plus, c’est-à-dire qu’on a réussi à les former correctement, et idéalement le plus vite possible.
Les études montrent qu’observer les spécialistes est une excellente façon d’apprendre. Mieux : observer à la fois les meilleurs et les novices est encore plus efficace pour la rétention, car cette méthode combine l’observation d’erreurs et de réussites.
Dans le monde du développement logiciel, il y a une pratique qui permet de tirer parti de ce mode d’apprentissage : le pair programming. Le concept est simple : deux personnes travaillent ensemble à la même tâche intellectuelle (ici, l’écriture de code). Le mob programming pousse le concept un peu plus loin en augmentant le nombre de pairs, car plus on est de fous…
Le pair et le mob programming semblent contreproductifs, c’est d’ailleurs le principal frein à leur adoption. Ça se comprend, pourquoi faire bosser deux personnes (ou plus) sur la même tâche alors qu’on pourrait les faire avancer sur des sujets en parallèle ? Pourtant, là aussi, les études montrent l’efficacité de la méthode, avec non seulement une réduction du coût de développement d’environ 15% mais aussi, en bonus, une augmentation du niveau de compétence (coucou les juniors), de la qualité du travail, de la communication et même du plaisir au travail. Banco !
Le bon mix
Si on s’appuie sur la science, la meilleure combinaison pour créer des équipes résiliantes, en limitant la perte de vélocité, serait de faire travailler sur les mêmes sujets, ensemble, des équipes de 3 personnes : 1 spécialiste et 2 juniors.
Chaque contexte est différent, notamment en termes de moyens à investir, et je le disais plus haut, il est de la responsabilité des dirigeants de bien placer le curseur. Ça peut être en faisant tourner les équipes sur ce mode, sur des durées plus ou moins longues.
Rien n’empêche, évidemment, de le faire sur des sujets qui intègrent l’intelligence artificielle, afin de ne pas rater le train.
En tout cas, c’est aujourd’hui un vrai enjeu stratégique, pour être capable de garder une compétitivité court terme tout en construisant des équipes qui sauront résister à ce que l’avenir nous réserve.
Teaser : la saga de l’été !!
L’été est arrivé, on va entrer dans la période de juillet-août, où une bonne partie de la France tourne au ralenti. Plutôt que de faire une pause, comme les années précédentes, j’ai décidé de vous proposer un contenu un peu différent pour les quatre prochaines éditions. C’est un petit challenge que je m’impose, et je vais faire de mon mieux pour être à la hauteur. Stay tuned !
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À propos de moi
Je m’appelle Cédric Spalvieri. Blogueur et conférencier, j’ai accompagné ces 20 dernières années la transformation digitale d’entreprises allant de la PME au groupe international. Curieux des mutations que subit notre société, je m’intéresse à la manière dont les évolutions du numérique impactent le monde dans lequel nous vivons.
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Globablement assez d’accord, j’ajouterais cependant que actuellement L’IA bien que rapide ne fournit pas un travail qualitatif sur du code. Généralement le code est difficile à modifier et donc peu maintenable, le code par l’IA est a risque du point de vu de la sécurité.
Au final l’outil bien que pratique pour des POC se fait très rapidement surclassé par un junior bien formé.
Et pourquoi ne pas prendre le problème à l'envers ?
Faut-il vraiment travailler avec l'IA ?
Personne ne se pose déjà plus la question. C'est pourtant plutôt un gadget technologique avec un coût environnemental démesuré. On peut largement s'en passer, continuer à former les juniors en gardant un environnement de travail "humain" et non aliénant tout en faisant du bien à la planète.
Et pourquoi pas un label garanti sans IA comme élément marketing pour montrer son implication dans les vrais enjeux actuels et toucher des clients sensibles à la cause écologique ?